Les diagnostics et les traitements

1.   De Pasteur

    Pasteur (1822-1895) est forcément un nom lié à la maladie de la rage. En effet, c’est le premier à mettre au point un vaccin contre la rage. En 1860, Pasteur découvre les micro-organismes (bactéries par exemple) et fonde la microbiologie (étude d’organismes non-visibles à l’œil nu). La vaccination est quelque chose de très peu connu au XIXème siècle et Pasteur découvre le principe de la vaccination quelque peu au hasard.

Avant la rage, Pasteur travaille sur le choléra des poules. Avec son associé, le médecin Emile Roux, ils arrivent à isoler le virus mais pas à le vaincre. Des virus du choléra des poules ont été mis dans des tubes à essai et Pasteur et son associé partent en vacances. A leur retour, pour une de leur expérience, ils infectent une poule saine du virus du choléra qu’ils avaient oublié avant leurs congés. Alors qu’ils s’attendaient à ce que la poule meurt, à leur grand étonnement, elle résiste. Pasteur réitère l’opération avec un virus du choléra très puissant, qui n’a pas été oublié. Et pourtant, la poule ne meurt pas. Pasteur alors, repense aux travaux d’Edward Jenner, un anglais, qui a réussi à vaincre la variole en inoculant la variole de la vache (la vaccine) à un enfant. Pasteur fait donc le lien et découvre la vaccination : il comprend que le virus du choléra injecté pour la première fois à la poule était en fait altéré par l’air et qu’il n’était plus assez puissant pour la tuer mais assez pour l’immuniser.

En 1882, il prouve officiellement l’efficacité du vaccin (« vaccin » est en hommage  à Jenner et à la vaccine)contre la maladie du charbon du mouton. Mais Pasteur ne s’arrête pas là : au XIXème siècle, la rage fait des ravages et tue des centaines de personnes. En 1881, Pasteur commence à étudier la rage. Son intuition le pousse à penser que cette maladie est due à un micro-organisme. Aidé des travaux antérieurs de  Paul-Henry Duboué et de Pierre Victor Galtier, Pasteur sait  que la maladie se propage dans le corps par la voix nerveuse, qu’elle se transmet par la salive et qu’il faut traiter la maladie tout de suite après la contamination, avant que le virus n’atteigne le cerveau.

Il travaille alors sur des lapins enragés, moins dangereux que les chiens. Au microscope, il n’arrive pas à isoler le virus, il est trop petit, mais cependant il sait où il se trouve : dans la moelle épinière d’un animal mort de la rage. Il prélève donc la moelle épinière et la fait sécher à l’air libre pour altérer le virus. Il fait ensuite des expériences sur des chiens en leurs injectant plusieurs fois des broyats de moelle épinière puis quelques jours plus tard, le virus de la rage, non altéré. Quarante chiens  sur quarante survécurent.

Le 5 juillet 1885, un petit garçon, Joseph Meister est mordu quatorze fois par un chien enragé. Sa mère et lui arrive donc le lendemain chez Pasteur, ayant entendu ses travaux. Seulement, Pasteur n’est qu’au début de ses expériences et ne sait pas comment le corps humain va réagir. Il va tout de même accepter et commence le protocole de vaccination le 6 juillet 1885. Pendant quinze jours, Pasteur va administrer à l’enfant une dose de moelle épinière broyée de lapin de moins en moins altérée et donc, de plus en plus « agressive ». L’enfant ne développera jamais la rage.

 

2.   A nos jours

    Le diagnostic clinique, c’est-à-dire un diagnostic qui ne se base que sur les symptômes est, pour la rage, très peu fiable. Les signes cliniques de la maladie ne sont pas spécifiques (mis à part l’hydrophobie, qui n’est pas tout le temps présent.) Ainsi, seul le diagnostic dit « de laboratoire » ou « biologique » est capable de confirmer le statut enragé ou non d’un animal ou d’un humain.

Il existe plusieurs techniques de diagnostics, suivant l’avancement de la maladie. Aujourd’hui, le diagnostic de laboratoire peut s’effectuer en 24heures. Au début des années 1980, soit seulement trente-cinq années en arrière, le diagnostic demandait entre quinze jours et trois semaines.

Le diagnostic de laboratoire est le même pour l’homme et les animaux à la différence que l’animal est toujours mort lorsque sont effectués les diagnostics.

Le diagnostic « intra-vitam » chez l’homme, donc, lorsqu’il est vivant, est pratiqué principalement par RT-PCR et/ou une biopsie de peau prélevée au niveau de la nuque.

Le diagnostic par RT-PCR permet de détecter directement la présence d’ARN de la rage dans une cellule. Tout d’abord, le principe de la PCR, en anglais « polymerase chain reaction », (=Réaction en chaîne par polymérase) est de dupliquer (avec un facteur de multiplication de l’ordre du milliard)un brin d’ADN que l’on a en très petite quantité. Ce système repose essentiellement sur des changements de température pour que la duplication se fasse dans les meilleures conditions possibles (nous ne développerons pas ce point qui dépasse largement nos compétences).

Cependant, la PCR ne peut se faire que sur des brins d’ADN. Si l’on veut dupliquer un brin d’ARN, il faut passer avant par une étape supplémentaire : la transcription inverse (RT). Cela consiste à synthétiser un brin d’ARN sur le brin d’ADN. Le brin d’ADN sera donc complémentaire. Cette étape suit bien évidemment les règles d’appariements des nucléotides. La transcription est la synthèse d’un brin d’ADN en brin d’ARN complémentaire, d’où le nom « transcription inverse ».

Pour cette étape, il y a besoin d’une enzyme, une ADN polymérase, qui elle-même a besoin d’une amorce pour se fixer. Une amorce est une courte séquence d’ARN ou d’ADN qui est complémentaire au début de la matrice (le brin d’ARN « modèle »). C’est là qu’intervient le rôle de diagnostic de la RT PCR. Dans notre cas, nous voulons savoir si une cellule contient un lyssavirus. Nous savons que le lyssavirus est un virus à ARN, il faut donc passer par l’étape de la transcription inverse. Pour cette étape, on utilise donc une amorce spécifique : dans notre cas, l’amorce est une courte séquence d’ADN qui est complémentaire au début de la séquence du brin d’ARN du lyssavirus.

C’est à ce moment-là que nous pouvons savoir le résultat : si la cellule ne contient pas d’ARN du lyssavirus, rien ne va se passer et le patient n’est donc pas atteint par la rage. Cependant si la cellule contient de l’ARN du lyssavirus, la transcription inverse va s’opérer et l’ADN complémentaire va se dupliquer. Dans ce dernier cas, on identifie ensuite l’espèce du lyssavirus. Cela va permettre d’identifier plus précisément l’origine géographique ou encore l’espèce animale d’où provient le virus et parfois même mettre en évidence de nouvelles espèces du lyssavirus.

Pour mieux visualiser ce principe, nous avons réalisé un schéma très simplifié du diagnostic par RT-PCR :

Remarque : cette pratique se fait sur des cellules de salive, d’urine, de liquide céphalo-rachidien ou encore des cellules de la peau. Ces prélèvements se font sur des personnes vivantes. Pour les patients décédés, la RT-PCR se fait sur prélèvement cérébral ou cutané.

Il existe aussi un diagnostic permettant d’identifier la présence d’antigènes rabiques. Un antigène est une petite molécule appartenant à l’agent pathogène qui est reconnue par les cellules du système immunitaire et c’est ce qui va déclencher une réponse immunitaire. Pour la rage, l’antigène est la molécule G. Ce type de diagnostic se fait uniquement sur des patients décédés (ou animaux morts), car les antigènes rabiques sont mis en évidence uniquement sur des prélèvements cérébraux (hippocampe, bulbe rachidien, cortex cérébral ou cervelet). Cette technique de diagnostic est très rapide, moins de deux heures et se fait grâce à un microscope à fluorescence. Dans les prélèvements, on injecte des anticorps rabiques (définition précise sur la page suivante) qui sont associés à des molécules de fluorescéine. Ces molécules émettent une lumière fluorescente lorsqu’elles sont sous ultraviolets. Les anticorps vont ensuite venir se « coller » aux antigènes du virus de la rage.

Sur la photo en haut à droite, nous remarquons que les molécules de fluorescéine se sont dispersées. Cela prouve donc que les anticorps ont réagi face aux antigènes.

Il existe une dernière forme de diagnostic qui consiste à détecter des anticorps antirabiques. Les anticorps permettent de neutraliser les micro-organismes et sont sécrétés par les lymphocytes B. Ces lymphocytes font parti de la famille des leucocytes qui sont des cellules de défense de l’organisme localisées dans le sang (plus communément appelés « globules blancs »).

Lorsque les lymphocytes B détectent des antigènes, ils sécrètent des anticorps spécifiques et viennent former un complexe anticorps-antigène qui peut ensuite être  détruit. Chaque anticorps est spécifique à un antigène.

Nous pouvons conclure que si un organisme est porteur d’anticorps antirabique, l’organisme a été ou est contaminé par le virus de la rage. Le dernier diagnostic se base donc sur la présence d’anticorps antirabiques, on parle de «séroneutralisation » qui est un type de réaction qui met en évidence la présence dans le sérum d’anticorps neutralisant un virus. Ce diagnostic se fait donc évidemment à partir de sérum qui est un liquide correspondant à une partie de sang qui contient les globules rouges (hématies), les globules blancs (leucocytes) et les plaquettes (thrombocytes). Ce dernier diagnostic est moins utilisé car les anticorps apparaissent très tard, quand le virus a déjà beaucoup progressé.

Tous les diagnostics de « laboratoire » de la rage animale et humaine se font dans des centres de référence, en laboratoire de confinement. En France, deux laboratoires s’en occupent :

-Le Centre National de Référence pour la Rage (CNRR) de l’institut Pasteur à Paris.

-Le laboratoire d’étude sur la rage et la pathologie des animaux sauvages à Malzéville (Nancy).

Toutes les suspicions de rage humaine ou animalière sont dirigées vers le CNRR. Le laboratoire à Nancy, lui, réalise le diagnostic de la rage sur les animaux lorsque le risque de contamination à l’homme a été écarté.

Les prélèvements potentiellement infectieux doivent être transportés avec la plus grande vigilance, en l’occurrence dans un triple emballage et par un transporteur spécifique.

Aujourd’hui, il existe deux formes de vaccinations dites « antirabiques ». La vaccination pré-exposition permet de  protéger la personne avant d’être exposée, c’est le principe de la prophylaxie pré-expositionnelle. Le vaccin post-exposition est utilisé après qu’une personne ait été mordue par un animal suspect, c’est la prophylaxie post-expositionnelle. La prophylaxie est donc un processus ayant pour but de prévenir l’apparition, la propagation ou l’aggravation de la maladie. Il est a bien noté que la vaccination préventive ne dispense pas la vaccination curative.

La prophylaxie pré-exposition est utilisée sur des catégories de personnes bien précises :

-les voyageurs avec une destination particulière : impossibilité d’accès en moins de 48heures à un centre disposant de vaccins efficaces, rapatriement difficile, risque de la rage élevé...

-les professionnels en contact avec les animaux (vétérinaires, personnes travaillant dans des animaleries, des parcs zoologiques, animaliers), plus particulièrement avec les chauves-souris (chiroptérologues, spéléologues).

-les professionnels travaillant sur le lyssavirus (scientifiques, personnels de laboratoire...)

La vaccination pré-expositionnelle doit suivre un protocole très strict :

-une première injection à j0. (j0 correspond au premier jour de traitement)

-une deuxième injection à j7

-une dernière injection à j21 ou j28

Le premier rappel se fait un an plus tard puis tous les 5 ans.

Il existe trois vaccins antirabiques disponibles en France : le Vaccin rabique Pasteur, le Verorab et le Rabipur. Même si les vaccins ne sont plus constitués de broyat de moelle de lapin, on continue avec le principe de la vaccination mis en place par Pasteur : les vaccins antirabiques sont constitués, entre autre, d’antigènes du virus de la rage. Grâce à cela, le système immunitaire est stimulé et les anticorps antirabiques apparaissent avant que le sujet soit en contact avec un risque potentiel (prophylaxie pré-exposition) ou avant  que le virus n’atteigne le cerveau (prophylaxie post-exposition).

En règle générale, les anticorps apparaissent environ 24heures après la première injection. La vaccination est donc très rapide. La vaccination pré-expositionnelle est très importante. En effet, si l’organisme à un deuxième contact avec le même antigène, les anticorps seront fabriqués plus rapidement et en plus grande quantité. En fait, l’organisme a conservé des lymphocytes B « mémoires » spécifiques de cet antigène : l’organisme est immunisé. C’est la mémoire immunitaire.

Ce graphique illustre la différence entre la première et la deuxième exposition au même agent pathogène. Nous remarquons que la deuxième réaction est bien plus rapide et puissante.

Dans le cadre de la prophylaxie post-exposition, les traitements sont différents selon la gravité des cas. Tout cela est classé et répertorié dans le tableau suivant de l’OMS :

Il existe là aussi plusieurs protocoles de vaccination. Il en existe deux pour un sujet n’ayant pas été vacciné préalablement : le protocole de Zagreb avec quatre injections (une dans chaque bras à j0 puis une à j7 et une à j21) et le protocole d’Essen avec cinq injections (j0, j3, j7, j14 et enfin j28).

Un protocole différent est mis en place en post-exposition quand le patient a déjà reçu la vaccination préventive et est à jour dans ses rappels. Ce protocole comporte seulement deux injections (une à j0 et une à j3).

Les vaccins antirabiques actuels ne sont pas efficaces sur toutes les différentes espèces du lyssavirus. Ils sont efficaces sur le virus de la rage (RABV), le lyssavirus des chauves-souris européennes type 2 (EBLV-2), sur le lyssavirus des chauves-souris australiennes (ABLV) et partiellement sur le lyssavirus des chauves-souris européennes type 1 (ELBV-1). Ces vaccins sont donc efficaces sur les espèces de lyssavirus les plus récurrentes.

Les vaccins sont globalement très bien tolérés mais comme la plupart des vaccins, des effets secondaires peuvent être observés qui sont pour la plupart des douleurs ou des rougeurs bénignes.

Dans le cas de morsure ou griffure ayant traversé la peau et tous les autres contacts de la catégorie III (voir tableau page 31), des immunoglobulines sont administrées en complément de la vaccination. Cependant, elles ne doivent pas être données si le patient a été vacciné dans les sept jours. Les immunoglobulines sont des protéines qui jouent un rôle majeur dans la défense immunitaire que l’on trouve principalement dans le sang. Certaines immunoglobulines jouent le rôle d’anticorps. Cela est dont très utile pour accélérer la défense immunitaire et empêcher le virus d’atteindre le cerveau.

Cependant, les vaccins et les immunoglobulines  ne permettent pas de soigner le patient une fois les symptômes déclarés. En effet, jusqu’en 2004, la rage était une maladie 100% mortelle lorsque les premiers symptômes étaient détectés.

Un traitement a été mis au point fin 2004 pour lutter contre la rage une fois que les symptômes ont été décelés : c’est le protocole de Milwaukee. Ce traitement naissant fut appliqué pour la première fois sur Jeanna Giese, une américaine de quinze ans. Cette adolescente présentait les principaux symptômes du virus rabique, c’est-à-dire : vomissement, fourmillement, engourdissement (paresthésie) mais aussi des troubles de la vue (diplopie). Elle avait également une forte fièvre (39°) et de nombreux déséquilibres. Cette jeune fille s’était en réalité fait mordre par une chauve-souris au niveau de l’index gauche un mois auparavant. C’est à ce moment-là que le protocole de Milwaukee est intervenu. Des médecins américains ont pour la première fois pu expérimenter ce traitement. Il consiste à plonger le patient sous coma artificiel (médicalement provoqué) pour protéger son cerveau, plus précisément son encéphale. Ainsi, le système immunitaire a plus de temps pour se défendre et les médicaments ont, eux, plus de temps pour agir dans l’organisme. Cette première fut un succès : après une longue rééducation, Jeanna Giese a repris le cours de sa vie.

Ce protocole de Milwaukee reste toutefois rare. Seulement cinq autres personnes ont survécu à la rage grâce à ce traitement moderne sur trente-et-une.